Fameux de son vivant, puis longtemps tombé dans l’oubli, le peintre anversois Jef Verheyen fut une force motrice de l’avant-garde européenne. Il fut l’ami d’artistes comme Fontana, Manzoni, Klein et Uecker. Son art radical évoque un espace infini dans lequel la lumière pénètre. Depuis le revival international des artistes du mouvement ZERO, un regain d’intérêt s’est amorcé. Le KMSKA présente Fenêtre sur l’infini, rétrospective novatrice en collaboration avec le M HKA et le Centre d’Archives Jef Verheyen.
« Il est merveilleux de se tenir dans la lumière du soleil levant et de se rendre compte qu’à ce même instant d’autres sont dans la même situation », écrivait Jef Verheyen (1932-1984), en 1977, dans un extrait du catalogue de sa rétrospective de 1979, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Sous le texte figure son nom et la mention ‘‘le peintre flamant’’, avec un ‘‘t’’. C’est ainsi qu’il signait parfois lettres et textes. Un mélange de ‘‘flamand’’ et ‘‘flamboyant’’ qui se traduit dans les couleurs de ses œuvres, mais sans doute aussi dans son tempérament. Il avait la réputation de s’enflammer lors des discussions. Avec le rose éclatant de son tableau Brésil ou celui d’œuvres éthérées qui créent une impression d’infini, de vide immense, l’œuvre de Jef Verheyen offre des expériences variant de la lumière à l’obscur, du noir, vert, bleu, rouge, dans toute la palette de couleurs, peintes couche après couche, jusque dans les nuances les plus subtiles ; comme la technique du glacis de Jan van Eyck, mais avec une peinture mate. Jef Verheyen a uni l’innovation à la tradition flamande et à des maîtres comme Botticelli et Vermeer. Ses cathédrales de lumière font référence au gothique et ses tableaux ronds à la Renaissance. L’exposition proposée à Anvers est le fruit d’années de recherche. Annelien De Troij du M HKA s’est plongée dans les archives de l’artiste et a mis en exergue la nouvelle expérience de l’espace qu’il proposait, une recherche expérimentale qui demeure pertinente. Le contexte international est donc montré avec des œuvres non seulement de prédécesseurs et de contemporains, mais aussi d’artistes contemporains comme Carla Arocha et Stéphane Schraenen, Ann Veronica Janssens, Kimsooja et Pieter Vermeersch.
Vibration de la couleur
« Voir, c’est toucher avec les yeux. » Cette devise, fréquemment citée, de Jef Verheyen renvoie souvent au handicap visuel avec lequel il est né mais qui fut rectifié plus tard. Dans son manifeste Essentialisme (1957-1959), il proclamait que la peinture devait se débarrasser de la matière. Le mouvement est une ‘‘vibration sur place’’, une vibration immatérielle de couleur dans la surface du tableau, même pour créer un espace illimité et sans dimension. Plusieurs décennies plus tard, il estimait que l’essentialisme demeurait le meilleur terme pour qualifier sa peinture et déclarait : « L’essentialisme est le rythme de la vie ». Le jeune Verheyen a d’abord travaillé la céramique : « J’ai essayé d’atteindre une sorte d’‘essence tant dans mes céramiques que dans mes tableaux ». Le thème de l’infini émerge dans ses tableaux vers 1956, alors qu’il se préoccupe également de vide. La lumière et la couleur demeurent les thèmes principaux qu’il a peint et sur lesquels il a aussi écrit. Il voyagea énormément, rencontra en 1957 à Milan Fontana, Manzoni et Crippa. En 1958, après sa première exposition personnelle à la Galerie Pater de Milan, il visitait l’exposition Le Vide d’Yves Klein chez Iris Clert, à Paris. La même année, il cofondait le groupe avant-gardiste anversois G58, qu’il quittait pour créer, en 1960, la Nouvelle École Flamande. Durant l’exposition G58 Vision in Motion/Motion in Vision, en 1959 au Hessenhuis, il rencontrait Günther Uecker de Düsseldorf, qui devint un artiste ZERO important. Ainsi, plusieurs collaborations s’établirent avec des artistes et écrivains amis. En 1962, Lucio Fontana posait, dans la villa knokkoise du collectionneur Louis Bogaerts, une ligne courbe de trous sur le tableau doré Le Jour de Jef Verheyen. Cette initiative fut diffusée à la télévision flamande et la vidéo est disponible sur YouTube. Fontana, qui était déjà âgé, a soutenu le jeune artiste en lui achetant trois tableaux, dont un rouge flamboyant en forme d’arc. Les formes géométriques de certains tableaux de Verheyen semblent planer dans le vide et ne sautent pas toujours aux yeux. Dès son plus jeune âge, l’artiste s’est passionné pour les philosophies orientales. The Geometry of Art and Life de Matila Ghyka et son livre sur le nombre d’or furent des sources d’inspiration. C’était une sorte de théoricien qui a légué des tableaux très délicats.