annie ernaux

Annie Ernaux

Dans son exposition, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) de Paris confronte dans un face-à-face passionnant la philosophie d’écriture du prix Nobel de Littérature Annie Ernaux à celle des photographes de rue.

TEXTE: Jean-Marc Bodson

La photographie de rue, que ce soit la street photography américaine de Leon Levinstein à Bruce Gilden ou la vision poétique française des Willy Ronis et autres Jean-Philippe Charbonnier, s’est toujours démarquée des cadres et des codes artistiques de son temps. Cela, sans doute parce que son seul cadre est le réel et que ses seuls codes sont ceux, très spécifiques, de l’instantané. Au point que l’on pourrait avancer que lorsqu’il tente de faire de l’art le street photographer n’en est plus tout à fait un. Un postulat qui se vérifie dans la passionnante exposition que propose actuellement la MEP, à Paris. Tous les tirages, sortis des réserves de l’institution par la commissaire Lou Stoppard pour une confrontation avec des extraits du Journal du dehors d’Annie Ernaux, répondent, tout comme ceux-ci, manifestement beaucoup moins à des préoccupations artistiques qu’à une volonté de saisir le réalité perçue dans l’instant. On citera, pour exemple, les images prises dans les années 1970 par l’excellent Claude Dityvon, dont les cadrages au cordeau subliment la banalité du non-lieu et du non-événement. Présentés en début d’exposition, ils sensibilisent d’emblée le visiteur à cette idée d’Henry Wessel, dont on peut également voir une série d’images ici, « qu’une photographie parle de choses qui n’existeraient pas sans elle ».

DES MOTS EN IMAGES

Dans son discours lors de la remise de son prix Nobel de littérature, à Stockholm le 7 décembre 2022, Annie Ernaux déclarait : « Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité, allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant. » Ce dont témoignent les extraits de son Journal du dehors, qui rendent compte des menus événements quotidiens observés dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, entre 1985 et 1992, et que Lou Stoppard a eu la bonne idée d’exposer aux murs de la MEP, au même titre que les photographies. Des perles que l’on n’inventerait pas, comme celle-ci : « À la boucherie du village, au bas de la Ville Nouvelle, on attendait d’être servi. Quand son tour est arrivé une femme a dit : « Je voudrais un bifteck pour un homme. »