Les pierres fines
Merveilles de modernité
Dernier volet de notre série consacrée aux pierres de couleur, avec un focus sur les pierres dites fines (anciennement appelées semi-précieuses), à l’exception des perles. La bijouterie et la haute joaillerie s’en emparent de plus en plus. Une fois encore, Moïse Mann, fondateur de la marque belge Manalys, et propriétaire de la maison Holemans, nous a guidés dans cette enquête.
TEXTE: CHRISTOPHE DOSOGNE
Comme pour les pierres précieuses, dites gemmes, plusieurs critères (souvent identiques) président à la classification des pierres fines. Il en existe un très grand nombre, dont la majorité est composée de monocristaux. Comme pour les gemmes, l’inaltérabilité des pierres fines repose sur trois propriétés : la dureté, la ténacité et l’insensibilité aux agents chimiques. Elles sont également classées sur la fameuse échelle de dureté, inventée en 1812 par le minéralogiste viennois Frédéric Mohs : alors que le diamant est classé 10, que les gemmes sont situées entre 7,5 (émeraude) et 9 (rubis, saphir), la dureté des pierres fines peut varier de 5 (opale) à 8 (spinelle). Ce classement revêt une importance capitale en joaillerie, notamment dans le domaine des bagues de fiançailles qui, par définition, se portent tous les jours, même si la pierre de couleur, gemme ou fine, reste plus séduisante pour les acheteurs que le diamant. Moïse Mann : « Une pierre fine étant souvent plus fragile, cela représente forcément un risque plus grand pour l’acheteur comme pour le vendeur. » Contrairement aux gemmes, le joaillier ne s’approvisionne pas directement à la mine, mais travaille avec des intermédiaires basés au Sri Lanka, en Italie, en Inde ou en Afghanistan : « Il y a trop de pays producteurs, et c’est un métier qui nécessite d’acheter en grande quantité. Comme je ne suis pas un collectionneur, mes achats ont toujours pour but de créer un bijou qui soit aisément vendable. »
Modernité
La distinction entre pierres précieuses et pierres fines existe depuis la Grèce antique. On l’a vu, les pierres précieuses se distinguent par leur rareté, leur qualité et la beauté de leur couleur, toujours transparente. Les pierres fines, dont certaines dites pierres ‘‘dures’’, englobent l’ensemble des autres pierres, également transparentes, utilisées en joaillerie. Cette classification fut longtemps variable, certains minéraux étant jadis considérés comme précieux, avant la découverte d’importants gisements. Variété pourpre du quartz, l’améthyste, sensée prévenir contre l’ivresse, était ainsi considérée autrefois comme une gemme cardinale, catégorie de pierres rares et précieuses traditionnellement portées par la royauté et le clergé. Après la découverte, au XIXe siècle, de vastes gisements en Amérique du Sud, elle fut rétrogradée au rang des semi-précieuses. Cette appellation de ‘‘fines’’ ne signifie pas pour autant qu’elles soient moins belles que les pierres précieuses : afin d’éviter toute confusion, elles ont ainsi perdu leur ancien nom trompeur de pierres semi-précieuses. Ce qualificatif ne reflète d’ailleurs pas nécessairement leur valeur, certaines pierres fines étant plus rares et plus coûteuses que des gemmes. Moïse Mann confirme : «Si en joaillerie, l’utilisation de pierres fines est souvent fonction de leur couleur et de leur rendu sur un bijou, la rareté de certaines rendent leur prix très élevé. Ainsi, les spinelles rouges, les plus belles, sont plus chères que des saphirs. De même, une tourmaline rose de 20 carats vaudra 70.000 euros chez un grossiste. Ce qui rend son utilisation difficile à commercialiser. Chez Manalys, nous en achetons rarement, sauf cas exceptionnel. Nous dépensons en général 1.000 euros le carat pour l’acquisition de pierres fines, même s’il m’est arrivé d’acheter une tanzanite de 75 carats pour 35.000 euros. Les pierres fines ont longtemps été victimes de préjugés. Or, depuis vingt ans, leur prix a explosé. Dans les dix ans qui viennent, ces prix ne vont faire qu’augmenter.» Depuis les avant-gardes du XXe siècle, une mutation s’est opérée dans la perception de la beauté des pierres qui sont devenues belles pour elles-mêmes. Appréciées pour leurs qualités visuelles et leurs formes géométriques, les cristaux bruts ont ainsi intéressé les cubistes, l’école du Bauhaus ou les surréalistes. Tandis que les frontières entre les domaines s’estompaient, les points de vue se complétaient. Depuis quelques décennies, les minéraux suscitent donc des approches plastiques nouvelles qui se reflètent notamment dans la joaillerie. Les pierres fines de couleur, surtout lorsqu’on les mélange, y témoignent d’une vraie modernité. Moïse Mann avoue un faible pour l’aigue-marine, la pierre de lune, le péridot, le spinelle, l’alexandrite et surtout l’opale dont il se fournit en Australie : « Pour moi, c’est comme la palette d’un peintre qui permet des créations fantastiques. »
Pierres fétiches
Aux Etats-Unis, les clientes sont particulièrement réceptives à la symbolique des pierres. En Europe, on constate également un intérêt de plus en plus grand pour les pierres de couleur et l’énergie qu’elles dégagent. Très tôt, les pierres fines ont-elles joué un rôle de talisman. Certains leurs prêtant des vertus curatives, elles sont également associées à la spiritualité et on leur voue des pouvoirs magiques. Dans la culture occidentale, on trouve dans l’Ancien Testament une référence aux pierres que portait le frère aîné de Moïse, Aaron, sur son plastron de premier grand-prêtre d’Israël: 12 pierres symbolisant les 12 tribus et les 12 mois de l’année. En Inde, le navaratna, qui réunit neuf pierres (dont le grenat et le chrysobéryl), compose souvent un plastron sensé augmenter le magnétisme de son propriétaire, lui attirant situations et personnes positives. C’est d’Allemagne, en 1560, que provient la tradition d’associer une pierre à la naissance d’un enfant sous la forme d’un pendentif ou d’une bague. A l’exception d’une pierre de lune, commandée pour célébrer une année de naissance, Moïse Mann n’est que rarement sollicité pour ce type de requête à haute valeur symbolique…
Brillant de mille feux…
Bien plus que pour leur prétendu pouvoir, les pierres fines sont surtout prisées pour la magie de leurs couleurs, souvent autrement fantaisistes et révolutionnaires que celles de leurs cousines gemmes. Découverte en 1830 dans les montagnes de l’Oural, en Russie, l’alexandrite (du nom du futur tsar Alexandre II) est une variété de chrysobéryl qui change d’aspect avec la lumière : verdâtre pendant la journée, elle est rougeâtre à la lumière incandescente ! Parmi les pierres fines communes, dont l’almandine, le pyrope, le démantoïde, la tsavorite et la spessartine, le grenat revêt lui aussi des couleurs qui vont du rouge au bleu et du jaune au vert, mais les plus populaires sont rouge-orange et verts. Les grenats rouges, aussi appelés anthrax, décrits par Pline l’Ancien, furent abondamment portés dès l’Antiquité. Considérée comme l’une des plus anciennes pierres fines de l’histoire, l’opale est fameuse entre toutes pour son remarquable jeu de couleurs, phénomène optique qui se produit lorsque la lumière pénètre dans la pierre, se trouvant diffractée par sa structure interne et ressortant en un éclair de couleurs spectrales. En raison de cette qualité qui permet d’y voir toutes les couleurs en même temps, les opales furent longtemps associées à la bonne fortune et aux pouvoirs surnaturels. Elles sont aujourd’hui très rares. Forme gemme d’un minéral appelé olivine, le péridot d’un vert éclatant était extrait de nuit dans l’Egypte ancienne car il était impossible de l’apercevoir de jour. Dans la Rome antique, on l’appelait ‘‘émeraude du soir’’, car ses couleurs ne s’assombrissaient pas la nuit. Acquises en Afghanistan ou en Birmanie par Moïse Mann, ces pierres « sont d’un prix très abordable en regard de leur taille souvent imposante. » On citera encore le spinelle, une des plus anciennes pierres fines connues, se déclinant du jaune au vert, en passant par le bleu, le rouge, le rose et l’incolore. Sa couleur la plus précieuse étant le rouge, dans l’Antiquité, suite à un malentendu entre l’Orient et l’Occident, ces spinelles étaient souvent confondus avec des rubis. Découverte à la fin des années 1960 en Tanzanie, la tanzanite (variété bleue de zoïsite) est particulièrement prisée aujourd’hui en raison de sa couleur bleu-violet vif, souvent exempte d’inclusions, et qui donne de grosses pierres taillées. Enfin, on ne manquera pas de citer la tourmaline, identifiée au XIXe siècle, dont la gamme de couleur très vaste constitue une source créative inépuisable pour les joailliers. Originaire du Brésil, sa variété Paraíba, qui se pare d’un extraordinaire bleu-vert, est rarissime et souvent bien plus onéreuse que le serait une émeraude. On se méfiera toutefois, car à l’instar de nombre d’autres gemmes et pierres fines, sa couleur peut être modifiée artificiellement pour en accentuer l’éclat.
VISITER
‘Vert Désir’
Musée des Arts anciens de Namurois
www.museedesartsanciens.be
jusq. 31-01
www.manalys.com
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