Céramiques du royaume maya
Masques, temples miniatures et mortiers, stèles votives, figurines de culte et vases, la liste est longue des 39 trésors mésoaméricains présentés pendant la vente aux enchères de la collection de Walter Vanden Avenne proposée par Christie’s à Paris. Mais, par où commencer lorsqu’on ne connaît rien des royaumes aztèques et mayas ? La spécialiste Fatma Turkkan-Wille vous met sur la voie.
TEKST: CELINE DE GEEST
Quel rapport entre le magnat belge du fourrage Walter Vanden Avenne et des divinités comme Cihuateotl ou Quetzalcoatl, le serpent à plumes ? A première vue, le lien est extrêmement ténu, bien que Vanden Avenne fut l’un des premiers collectionneurs d’objets mésoaméricains en Belgique. Il dirigea l’entreprise d’aliments pour bétail Vanden Avenne-Ooigem, fondée en 1889 par son grand-père Zeno Vanden Avenne. En 1984, il est fait chevalier de la noblesse héréditaire belge et préside, de 1985 à 1989, le Vlaams Economisch Verbond (VEV). Dans les années 1960, il commence à collectionner les objets de Mésoamérique, région historique culturelle entre le nord du Nouveau-Mexique et le nord de l’Amérique centrale. En 1976, la Générale de banque expose une grande partie de sa collection. Seize ans plus tard, la Belgique fête le 500e anniversaire de la découverte du Nouveau Monde avec une exposition d’art précolombien aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, à Bruxelles. Soit 130 pièces provenant du Metropolitan Museum of Art, du British Museum, du Rijksmuseum et une de la collection Vanden Avenne.
Commençons par le commencement
« La collection du baron Vanden Avenne témoigne d’un œil infaillible pour l’élégance et la rareté. Il saisit très tôt la beauté envoûtante de l’art mésoaméricain », confie Fatma Turkkan-Wille, spécialiste de l’art précolombien chez Christie’s. La majestueuse sculpture d’une Cihuateotl assise, divinité aztèque de la fertilité, de Veracruz (ca. 600-1000) constitue un bel exemple de son talent de collectionneur. Mais, Vanden Avenne a bien dû commencer quelque part. A en croire Fatma Turkkan-Wille, quiconque souhaite suivre ses traces a donc intérêt à commencer par le début : une bonne vue d’ensemble de l’art précolombien. Il s’agit d’un vaste concept englobant toutes les civilisations anciennes, au sud des Etats-Unis, du deuxième millénaire avant notre ère jusqu’à l’arrivée de Christophe Colomb en 1492 et la colonisation qui s’en est suivie. La Mésoamérique constitue le territoire où la culture des Olmèques, également appelée ‘‘culture-mère’’ (ca. 500-400 av. J.-C.), fut l’une des premières à s’épanouir. Elle fut suivie par la culture maya, qui connut son apogée lors de la ‘‘période classique’’, de 250 environ à 950, puis par les Aztèques (ca. 1200-1541).
Un vase chargé d’histoire
Il n’est guère difficile de se laisser subjuguer par la diversité des objets, des techniques et des matériaux de ces riches cultures. Il existait des traditions de taille de pierre, de sculptures sur bois et d’orfèvrerie, mais les plumes, les textiles, le jade, l’argent et d’autres métaux étaient également récurrents. « L’art, c’est comme la mode, souligne Fatma Turkkan-Wille. Un collectionneur débutant doit déterminer ce qui l’attire. » Or, quoi de mieux pour commencer que les céramiques mayas ? « L’art précolombien se compose en grande partie de terres cuites. Nous avons la chance que de nombreux exemplaires aient été conservés, surtout en provenance de Colombie et d’Equateur. Les céramistes les plus productifs d’Amérique latine étaient les anciens Péruviens. Les terres cuites de cette région couvrent une période allant de 900 av. J.-C. à la conquête espagnole. Le Costa Rica possède une autre tradition tout aussi riche. Mais dès qu’on arrive au Mexique, on trouve quelques-uns des objets en céramique les plus fameux, fabriqués par les Mayas. Ces vases, avec leurs histoires magnifiquement illustrées, font penser à des poteries grecques antiques. »
Des mythes déchiffrés
En dehors des vases, il existe bien d’autres objets en céramique dont beaucoup font partie de la collection de Vanden Avenne. « Les céramiques mayas étaient, en effet, des objets usuels dans la vie comme dans la mort, explique Fatma Turkkan-Wille. Les récipients cuits, très durables, pouvaient contenir de la nourriture et des boissons pour la vie de tous les jours, mais servaient aussi d’offrandes pour les funérailles initiatiques. » Des œuvres figuratives ont également subsisté et forment souvent des portraits étonnamment naturalistes. Mais, quelle est la sorte de céramique actuellement la plus populaire auprès des collectionneurs ? Fatma Turkkan-Wille explique : « Toute la production maya était confectionnée à la main, sans passer par un tour de potier. Le procédé de fabrication de la céramique était complexe et comportait diverses étapes. Durant la période classique (ca. 250-950), des artistes créent un large répertoire d’objets polychromes, ornés de scènes figuratives. Tout comme dans la Grèce antique, la céramique compose une toile sur laquelle les artistes illustrent des scènes mythiques, souvent dédiées à leurs protecteurs et rois. D’autres scènes présentent des rituels auxquels s’adonnaient souverains et nobles mayas. Pour les rois et reines de la période classique, les céramiques ne servaient pas uniquement de ‘‘contenants’’. Les objets de terre cuite étaient un signe de richesse et servaient souvent de cadeaux diplomatiques. Les vases et autres objets deviennent de plus en plus ‘‘lisibles’’ au fur et à mesure du décryptage de l’écriture et des glyphes mayas. C’est ce type de céramique, associant une riche iconographie à des textes déchiffrés, qui attire fortement collectionneurs et institutions. Les céramiques mayas présentent une grande diversité de taille, décor et forme, leurs prix variant également de 1.000 euros à plus de 150.000 euros. »
Un bon conseil
La céramique maya est tendance, cela ne fait aucun doute. Mais, les strates iconographiques qui rendent ces œuvres si populaires nécessitent un minimum d’examen. La terre cuite maya est donc réservée aux collectionneurs ayant acquis quelque connaissance sur cette culture, ses mythes et sa vision du monde, ou qui sont prêts à s’en imprégner. « L’achat d’un vase maya peut vous entraîner dans une aventure intellectuelle captivante », affirme Fatma Turkkan-Wille. Pour ce faire, lire est essentiel, selon elle. Mais elle recommande aussi de visiter les musées qui possédent de belles collections précolombiennes. « Les principales collections se trouvent en Amérique du Nord et du Sud. Le Metropolitan Museum of Art et le Princeton University Art Museum, par exemple, mais aussi le Museo Nacional de Anthopología de Mexico et le Museo del Oro de Bogotá, en Colombie. Plus près de chez nous, on trouve le musée d’ethnologie de Vienne (Museum voor Volkenkunde), le grand musée du Quai Branly à Paris et le British Museum de Londres. » La spécialiste souligne enfin l’importance des rapports d’état, surtout pour la céramique, mais aussi pour les œuvres de pierre : « Ces pièces sont-elles endommagées, ont-elles subi des restaurations ou reçu plusieurs couches de peinture ? C’est le genre de questions qu’il faut se poser. » On peut donc s’estimer heureux qu’une grande partie de la céramique originale ait survécu aux destructions des conquistadors ; à nous de prendre le plus grand soin de ce qui reste.
VISITER
‘Quetzalcoatl: Serpent à Plumes’ (vente), Christie’s, Avenue Matignon 9, Paris, www.christies.com, 09-02 à 17 h
BREAKING NEWS : Cette semaine, les autorités mexicaines demandaient à Chrisitie’s d’interrompre la vente du 9 février. Elles souhaitent examiner de plus près 33 des 39 objets d’art précolombiens proposés, car elles pensent qu’ils ont pu être pillés, voire falsifiés. Étant donné que les objets figurant dans le catalogue ont tous une provenance explicite (19 d’entre eux proviennent de la collection de Walter Van Den Avenne), Christie’s a annoncé qu’elle n’annulerait pas la vente, à moins de recevoir des preuves permettant d’en contester la légalité.
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